• L'orgue du Diable
    Les articles des fans

    L’Orgue du Diable, Faits et Interrogations

    Quels indices Leloup nous laisse-t-il sur la faisabilité de son incroyable instrument ?… Une tentative d’analyse d’après les pages 36 et suivantes de l’album en question…

    L’Orgue du Diable, Faits et Interrogations


    L’orgue du Diable, instrument fantastique, gigantesque et destructeur, mais fondamentalement issu d’une technique des plus réelles, n’en finit pas de poser la question de la référence possible à une légende authentique dont se serait inspiré Leloup. En attendant que l’un d’entre nous ne trouve une réponse, quels indices l’auteur nous donne-t-il pour avoir une idée plus précise du degré de réalisme de sa créature de bois et de métal? L’orgue d’Hartmann peut-il exister? Nous ne saurions donner ici de réponses définitives; voici simplement quelques pistes, histoire de piquer la curiosité du lecteur. Ces quelques réflexions n’engagent bien entendu que leur auteur…

    Une soufflerie problématique

    Suivons Yoko dans son exploration de l’orgue. Et passons d’abord à la soufflerie (attention, la chaîne est glissante). Deux gros soufflets cunéiformes, c’est-à-dire se dépliant comme des soufflets de forge, dominent la scène. Rien d’étonnant à cela, c’est de cette façon que l’on a insufflé de l’air sous pression dans les orgues jusqu’à la fin du XIXe siècle. Soufflets actionnés non pas par des contrepoids remontés manuellement, mais par une roue à aubes en raison de leurs dimensions : une source d’énergie mécanique crédible, et en vérité la seule mobilisable à grande échelle au XVIe siècle. Rappelons qu’on construisait alors des machines d’extraction minière impliquant un haut degré de maîtrise de cette énergie. Erreur ? Clin d’œil ? La case suivante nous propose deux soufflets réservoirs du type dit “à lanterne” (c’est-à-dire rectangulaires), dont la rectitude du mouvement est contrôlée par le système de pantographe visible à droite.
    Les réservoirs
    Passons sur le principe de soufflet réservoir : intercalé entre les soufflets de la pompe et l’orgue, il emmagasine de l’air et le maintient sous pression, permettant de compenser le mouvement alternatif des soufflet principaux et les éventuelles irrégularités du débit. Ces soufflets réservoirs sont, à la fin du XVIe siècle, en train de se généraliser, et il n’est guère étonnant que ce perfectionnement ait été ajouté à un tel instrument. En revanche, pourquoi Leloup a-t-il représenté des réservoirs à lanterne, qui sont une invention du XIXe siècle, au lieu des probables réservoirs cunéiformes, moins efficaces car moins réguliers dans leur action?
    Plusieurs solutions s’offrent à nous. Leloup a pu faire une erreur que nous lui pardonnons bien volontiers. Autre hypothèse, le père d’Ingrid a commis lui-même cet anachronisme en restaurant l’orgue. Peu crédible, car dans les années 1970, la restauration de ces instruments achevait un salutaire retour à l’authenticité après une première moitié du XXe siècle caractérisée par de nombreuses modernisations parfois destructrices pour des instruments ayant traversé les âges… Dernière hypothèse, la plus poétique et par conséquent celle que nous aimerions pouvoir retenir : Hartmann, le facteur d’orgue maudit de l’album, aurait inventé le soufflet à lanterne trois cent ans avant tout le monde. Un joli et discret petit clin d’œil de la part de Leloup, sur ce que l’on aurait peut-être gagné à écouter les artistes maudits…

    Admirons la bête…

    L’Orgue du Diable est effectivement un monstre. Par la taille, comme le suggère Yoko, mais aussi par les proportions. Le positif de dos, la partie de l’orgue la plus en avant (ainsi nommée parce qu’elle correspondait à l’origine à l’ajout d’un petit orgue, le positif – celui qu’on peut poser, donc transportable – et placé dans le dos de l’organiste), est de taille normale, mais le buffet du grand orgue l’écrase complètement. Déséquilibre esthétique criant quant à l’apparence normale d’un orgue, correspondant probablement à un déséquilibre sonore – on imagine pas le petit positif dialoguer avec le géant qu’il côtoie… Leloup accentue par ces proportions invraisemblables l’impression de malaise déjà appuyée par le cadrage. Un monstre, donc, à tous points de vue. Notons les deux niveaux de tuyaux en montre (c’est-à-dire “montrés” en façade) et l’arrière bien rempli de petits tuyaux visibles dans le haut du buffet.
    L'orgue
    Le buffet
    Le “récit” (partie supérieure du grand orgue) est bien fourni et sa position (à la verticale des jeux principaux) correspond à la tradition de la facture allemande privilégiant les différences de hauteur et la superposition de plusieurs niveaux – alors que l’orgue français, par exemple, les place de l’avant vers l’arrière. Ce qui est moins vraisemblable, c’est en revanche la position centrale des plus gros tuyaux; on y gagne en esthétique, certes, mais les facteurs allemands avaient coutume de disposer les sons les plus graves sur les côtés. or, sur les côtés justement, hormis la montre, les gros tuyaux ne se bousculent pas.
    La console (le poste de pilotage de l’orgue) est du type “en fenêtre” traditionnel, et comporte quatre claviers de quatre octaves chacun, ce qui est confortable, mais pas encore monstrueux (on ira jusqu’à six claviers au XIXe). Au vu du nombre de tirants, on y repère finalement assez peu de jeux. J’en compte 28 – en supposant une disposition symétrique, ce qui ne correspond pas non-plus à un monstre. Enfin, un pédalier visiblement assez étendu, cas assez peu répandu au XVIe siècle. Bref, l’Orgue du Diable est une énigme tant sur le papier qu’au physique.
    Le pedalier

     

    Mais voici ce qui m’intrigue le plus :
    Les gros tuyaux
    Rappelons d’abord les notions de base : la hauteur d’un tuyau est ordinairement donnée en pieds, mesure ancienne correspondant à 32 cm environ. On désigne d’ailleurs les jeux en fonction de la taille du plus grand tuyau qu’ils comportent, le plus grave. Un jeu dit de 8 pieds comporte donc un tuyau de huit pieds proprement dit et un certain nombre de tuyaux plus courts. Mais si l’on bouche le sommet d’un tuyau, il sonne une octave en dessous, de la même façon qu’un tuyau qui ferait le double de longueur. par conséquent, il est fréquent que les tuyaux les plus graves ne soient pas forcément monumentaux. De plus, pour des raisons d’économie, d’entretien et de facilité de fabrication, les plus gros tuyaux sont le plus souvent construits en bois, de section carrée. Ces indications valent surtout pour les jeux à bouche, où le son est produit par un biseau comme dans une flûte à bec; pour les jeux à anches, fonctionnant comme peu ou prou comme des hautbois ou des clarinettes, la longueur du tuyau est moins déterminante.
    Les plus gros tuyaux régulièrement utilisés sur les très grands instruments mesurent 32 pieds. Quand ils ne sont pas exécutés sous forme de tuyaux bouchés, ce sont de belles bêtes de dix mètres de haut… Montés en montre, ils donnent un aspect monumental. Les plus longs tuyaux connus sont des 64 pieds, soit vingt mètres; quoique votre serviteur ignore si ces derniers n’étaient pas en fait des 32 pieds bouchés (sonnant donc comme 64 pieds…). Des 64 pieds d’une extrême rareté, faut-il préciser. Quoiqu’il en soit, après estimation rapide, le gros tuyau du jardin d’Ingrid n’a pas l’air de dépasser cette mesure.
    La pièce maîtresse de l’Orgue du Diable serait-t-elle donc un “ordinaire” 64 pieds, gros tuyau à bouche exécuté en cuivre ou plus vraisemblablement en alliage cuivre et plomb, en admettant qu’un artisan ait eu le courage de s’attaquer à sa fabrication? Encore une fois, ce sont les proportions qui tournent à la monstruosité car son diamètre, à vue d’œil, est plus qu’imposant – style canalisation, comme dit Yoko (p.14), et à vrai-dire assez improbable (quel débit faudrait-il pour remplir d’air un tel volume?). La largeur de la bouche et le diamètre du tube garantissent un son puissant. Son ou infra-son, cela reste à discuter, car les notes les plus graves d’un jeu de 32 pieds sont à la limite de l’audible.
    Le tuyau !
    L’oreille peut percevoir la lenteur des ondulations, et la vibration est ressentie plus ou moins consciemment par tout le corps. Un 64 pieds donne l’octave inférieure, donc la moitié de la fréquence. Peu probable, donc, que le gros tuyau de l’orgue du Diable puisse produire, tant aux oreilles d’Ingrid et Yoko dans leur cage, qu’à celles de Karl, en bas, un son audible. Une fois percé à mi-hauteur, l’hypothétique 64 pieds sonne comme un ordinaire 32 pieds, un peu plus audible, mais pas tellement… Reste que le dessin de Leloup est souverain : les tuyaux apparaissent dans toute leur splendeur, mis en valeur par la discrétion du buffet. Si les gros tuyaux de la montre situés aux endroits où le buffet est le moins haut, entre les très gros du centre et des côtés, appartiennent à un jeu de 32 pieds, cela donne une idée de la taille qu’aurait un (grand) orgue ordinaire à côté du monstre.
    Bref, si les tuyaux de 64 pieds existent, alors l’Orgue du Diable existe aussi. Les orgues tueurs, à notre connaissance, n’existent a priori pas encore… Bref, l’orgue extraordinaire de Leloup : vision poétique certainement, machine à rêves (plutôt à cauchemars) assurément…
    Le tuyau central
  • News -Yoko Tsuno

    Nouvel article : Retour sur “L’Or du Rhin”

    À l’occasion de la sortie de cette aventure ferroviaire, en 1993, Roger Leloup évoque son enfance à Verviers, son travail de documentation, son activité de modéliste…
    Un article paru dans l’hebdomadaire “La Vie du Rail”.

  • Yoko dans les médias

    Leloup dans La Vie du Rail, Novembre 1993

    Jusqu’au milieu des années 1990, le magazine “La Vie du Rail” consacrait régulièrement quelques pages aux représentations du chemin de fer dans l’art et la littérature.
    C’est à ce titre que parut en 1993 cet article consacré à Roger Leloup. Le dessinateur y évoquait son enfance et les racines de son intérêt pour le monde ferroviaire. Les trois pages étaient illustrées de quelques cases de L’Or du Rhin. Le journaliste, Jack Chaboud, a signé aux éditions La Vie du Rail un ouvrage important sur les trains dans la bande dessinée, “Quai des Bulles”.
    La Vie du Rail

    LE “RHEINGOLD”, HÉROS DE BANDE DESSINÉE

    Par Jack Chaboud (La Vie du Rail N°2421, 24 Novembre 1993)

     

    L'or du Rhin, Page 21

     

    Créateur de la célèbre Yoko Tsuno, ancien collaborateur d’Hergé, Roger Leloup a grandi près d’une voie ferrée, admirant “les seigneurs du rail”. En 1989, une petite loco va le replonger dans cet univers et il est aujourd’hui un mordu de modélisme. Dans son dernier album, Yoko partage la vedette avec “L’Or du Rhin”.
    Né à Verviers, en Belgique, en 1933, Roger Leloup a gardé de son enfance dans cette ville des souvenirs étroitement liés au chemin de fer : ?Le salon de coiffure de mes parents était situé le long de la voie ferrée, à mi-chemin de la gare de triage et de la gare de voyageurs?
    Entre les deux gares, il y a un tunnel où le petit Roger va voir s’engouffrer et déboucher les locomotives, et au dessus duquel il fonce en vélo dans les panaches de fumée.
    Page 28
    “Notre quartier vivait au rythme des trains, ajoute-t-il, et les mécaniciens faisaient souvent leurs manœuvres près du salon, pour jeter un coup d’œil dans le coin des dames. Ca mettait ma grand-mère en fureur, à cause de la fumée qui salissait son linge séchant en contrebas de la voie.” Pendant que la vieille dame apostrophe les seigneurs du rail, ceux-ci cueillent son petit-fils et le juchent sur une caisse pour l’installer aux leviers de leur machine. Durant la guerre, alors que son père était prisonnier, le jeune Leloup est très entouré par un grand-père qui lui transmet sa passion pour les châteaux-forts, l’aquarelle, et une mystérieuse inconnue avec qui il a de quotidiens rendez-vous… C’est, bien-sûr, encore une locomotive.
    Page 23
    “À cette époque, en hiver, se souvient Roger Leloup, les roulants étaient nos bons anges car ils s’arrangeaient toujours pour répandre du charbon sur le ballast.” Il poursuit : “Je n’avais pas besoin de train jouet puisque mon quartier était un réseau miniature, où je pouvais contempler les machines dont j’entendais dans la nuit le halètement et le cognement des bielles. l’aventure était aussi là, avec les convois allemands hérissés de canons de DCA et de mitrailleuses, dont mes copains et moi bombardions les servants de boules de neige. Plus tard, il y a eu les trains de prisonniers, dont certains s’évadaient en ville le visage noirci par le charbon, plus tard encore des trains de blessés sont arrivés d’Allemagne.”
    Page 23
    Malgré ces moments pénibles, le petit Roger découvre les romans de Dickens et de Jules Verne et, comme tous les enfants uniques, il se crée des univers imaginaires peuplés de monstres et de douces captives.
    Au lendemain de la guerre, il obtient le diplôme d’arts graphiques de l’institut Saint-Luc, à Bruxelles, et travaille ensuite trois ans dans la publicité, avant de rencontrer un des proches collaborateurs d’Hergé, Jacques Martin – le créateur d’Alix – qui lui confie les dessins d’une encyclopédie de la locomotion.
    C’est ainsi qu’il entre au studio Hergé où il passe quinze ans, réalisant en particulier les machines de la dernière version de l?album de Tintin le plus ferroviaire : L’Île Noire.
    Pendant toutes ces années, Roger Leloup se passionne pour la mécanique et l’électronique. Fervent aéromodéliste, il est deux fois champion de Belgique de vol circulaire. Rien d?étonnant donc à ce qu’il conçoive, en 1968, une héroïne électronicienne, pilotant avions et fusées, mais également inspirée des figures angéliques de ses rêveries passées. Une héroïne dont les traits asiatiques rapellent ceux de l’actrice japonaise Yoko Tani.
    Porteuses des visions humanistes de leur auteur, les aventures de Yoko vont aborder des thèmes de science-fiction, ou se dérouler dans les atmosphères fantastiques de châteaux médiévaux et des légendes rhénanes.
    Page 9
    Les trains de Verviers sont bien loin lorsque, un jour de 1989, Roger Leloup voit ressurgir le passé dans une boutique de modèles réduits où il reconnait “une type 01 de mon enfance.” Il l’achète immédiatement, véritable déclic d’une passion dévorante. Installé à Wavre, près de Bruxelles, il est maintenant à la tête d’un parc de 150 locomotives et d’innombrables voitures et wagons. Il précise : “Je n’ai pas acheté ces machines pour les mettre en vitrine, elles roulent toutes sur mon circuit intérieur de 51 mètres ou sur mon circuit de 45 mètres dans mon jardin.” Et il continue : “j’aime leur faire donner leur puissance, mais attention, dans le respect de la vitesse des machines réelles à leur échelle.”
    Au fil de ses achats, il réunit une importante documentation technique et historique sur ses acquisitions, dont un premier train de rêve, un Orient-Express de 1930 “tiré par une 140 de chez Roco, avec les fameuses voitures LX à toit blanc de chez Rivarossi.”
    Enfin, il y a deux ans, il fait une nouvelle rencontre avec le modèle réduit d?un autre train de luxe, l?Or du Rhin, le Rheingold allemand. À travers lui, c’est la nostalgie de son enfance, le monde de ses rêves, et les aventures de Yoko Tsuno qui se trouvent réunis.
    Mystère à la japonaise à bord de “L’Or du Rhin”
    Pour faire suivre à son héroïne, Yoko Tsuno, les méandres du Rheingold, Roger Leloup a fait des repérages sur un parcours qui lui était déjà familier. Il a aussi passé deux jours en gare de Cologne pour observer le mouvement des trains. Puis, il a réalisé des montages photos et réuni une documentation dont l’ouvrage de réference est le “Rheingold” paru chez Motorbuch Verlag. Pour reproduire le train, il a également filmé la rame 1928 de ses modèles réduits, n’hésitant pas à démonter machine et voitures pour obtenir des vues particulières de certains éléments.
    “Avec mon style graphique très précis, commente-t-il, j’ai eu beaucoup de difficultés à ne pas figer les mouvements de la locomotive, et je ne peux pas tricher en masquant la machine par un nuage de fumée, car le “Rheingold” fumait peu !”
    Rappelons la trame de cet épisode des aventures de Yoko Tsuno. À cause de l’agression d’une compatriote et de la découverte d’explosifs dans sa voiture, Yoko se retrouve à la gare centrale de Cologne, face à son vieil ennemi Ito Kazuky. Le milliardaire se prépare à négocier avec des Allemands un contrat fabuleux dans… une rame du “Rheingold” qu’il a fait restaurer, en lui adjoignant sa propre voiture aux équipements informatiques sophistiqués. Le train qui s?ébranle recèle bien des mystères et de curieux personnages. Tandis que le convoi roule le long de la vallée du Rhin, chantage, affrontements et meurtres se succèdent avant qu’une machination ne se mette en place pour la possession d’une terrifiante “chambre du néant” située dans la voiture de Kazuky. Mais Yoko et ses amis veillent. Un excellent suspense, doublé d’un régal pour l?amateur de reconstitution ferroviaire, avec 34 pages de vues générales, de gros plans intérieurs et extérieurs de machines, voitures, gares, ponts… Les dix-neuf aventures de Yoko Tsuno sont parues aux éditions Dupuis. Plus de cinq millions d?albums ont été vendus dans le monde. À noter que dans l’Orgue du Diable, la jeune japonaise, menacée d’être abattue par un tueur sur une voie de la vallée du Rhin, est sauvée par l’irruption d’une CC “E 94” des années 50…

    Le réseau de Roger Leloup

    Le réseau de Roger Leloup

    Sur les quatre voies de sa gare de triage, Roger Leloup effectue des changements de locomotives grâce à un électro-aimant, et il fait circuler tous les types de convois de l”histoire du “Rheingold” disponibles en modèles réduits.
    Il peut ainsi faire tracter des rames à six ou treize voitures Rivarossi ou Lilliput – dont les élégantes voitures violet et crème de la rame d”origine – par des 18.4 Lilliput, S 3/6 bavaroise, ou IV-h badoise.
    Les voitures (ADE) illuminées de son “Rheingold” de 1962 sont tirées par différentes motrices électriques Fleischmann.